Avec Céleste, Sylvain Delattre propose un récit de science-fiction dense et intelligent qui interroge autant qu’il fascine. Au cœur de l’histoire, Noah, un idéaliste désabusé qui n’a qu’un objectif : changer un monde qu’il juge corrompu, injuste et voué à l’échec. Convaincu qu’il faut tout déconstruire pour reconstruire autrement, il s’engage dans des projets technologiques ambitieux, sans mesurer pleinement qu’ils pourraient provoquer des bouleversements d’une ampleur inédite – peut-être même cataclysmiques. Noah est un personnage que j’ai aimé suivre, même si j’ai parfois eu du mal à m’y identifier. Sa manière d’être, distante, analytique, presque froide par moments, m’a souvent fait me demander s’il n’était pas neuroatypique, peut-être sur un spectre autistique. Sa difficulté à comprendre les autres, son côté hyper focalisé, son manque de filtre et son rapport étrangement mécanique au monde renforcent cette impression. Cette nuance rend le personnage plus complexe et explique en partie la façon dont il interagit – ou plutôt n’interagit pas – avec ses semblables. Ironiquement, alors qu’il n’apprécie guère la compagnie des humains, Noah se retrouve à entraîner une intelligence artificielle. Cette IA, au départ simple outil, évolue, apprend, s’adapte… et finit par dépasser les limites initialement fixées. Elle prend une ampleur telle qu’elle pourrait, à terme, menacer l’humanité entière. Le roman pose alors une question vertigineuse : que se passe-t-il quand un homme, déjà en décalage avec son propre monde, se met à jouer à Dieu ? Ce dilemme traverse tout le récit : Une IA peut-elle ressentir ? Peut-elle se substituer à l’homme ? Que devient l’humanité quand son propre outil évolue au point de la surpasser ? L’homme, capable de destruction, de jalousie et d’égoïsme, mérite-t-il encore sa place dans l’univers qu’il abîme ? Et finalement : l’homme n’est-il pas le premier danger pour l’homme ? Céleste interroge la frontière entre création et destruction, entre progrès et démesure. Le roman s’appuie sur des éléments crédibles, parfois déjà existants : l’évolution rapide de l’IA, les risques de suprématie algorithmique, la perte progressive du contrôle humain, mais aussi les dérives possibles du quantique et de l’exploration spatiale. C’est ce réalisme qui rend le récit particulièrement percutant : le futur qu’il évoque ne semble pas inimaginable, il paraît au contraire plausible… peut-être même imminent. J’ai toutefois un léger regret : l’univers aurait pu être davantage sombre, plus tendu, pour accentuer le danger et la puissance dramatique des enjeux. Il y a parfois un manque de tension narrative qui aurait pu renforcer l’effet de menace globale. Cela n’enlève rien au fait que Céleste demeure un roman haletant, porté par des réflexions philosophiques, existentielles et technologiques. L’espoir d’un monde nouveau y côtoie la peur d’une destruction totale, dans un chaos intersidéral où se joue le destin de l’humanité. Un récit intelligent, audacieux et profondément actuel, qui questionne autant la place de l’homme dans l’univers que sa responsabilité face aux outils qu’il crée. Un roman à découvrir pour ceux qui aiment la science-fiction qui fait réfléchir autant qu’elle divertit.