Ce roman nous plonge alors dans une correspondance à travers le temps, entre deux époques que tout oppose : les mœurs, les codes et la condition féminine, mais que l’émotion et l’amour parviennent à relier. Le jour de ses dix-huit ans, au festival du Cabaret Vert à Charleville, Marie ne s’attendait pas à vivre un tel choc. Accompagnée de son amie, elle s’apprête à profiter de la musique, de l’instant présent, bien loin de la poésie du XIXe siècle, des histoires anciennes ou des secrets de famille. Pourtant, ce jour-là, elle reçoit le journal intime de son ancêtre, Jeanne-Marie, une jeune femme de son âge qui, plus d’un siècle plus tôt, avait vécu une passion secrète avec nul autre que le célèbre Arthur Rimbaud ! Dès les premières pages, le lien entre les deux jeunes femmes s’installe : il est puissant et bouleversant. Marie vit en 2020, Jeanne-Marie en 1870, et pourtant tout semble les rapprocher : leur âge, leur curiosité, leur désir de liberté et leur sensibilité. J’ai été profondément touchée par cette construction narrative en miroir : le passé éclaire le présent, et inversement. En lisant ce journal intime, Marie ne découvre pas seulement un secret de famille, son ancêtre lui dépeint un monde oublié, vibrant et vivant. Ce roman prend la forme d’un roman épistolaire, où Jeanne-Marie s’adresse directement à Rimbaud en le tutoyant cela donne une intensité particulière au récit car le lecteur ressent toute la fougue, la rébellion, et la délicatesse de ses sentiments. Elle est à la fois de son temps et en avance sur lui ce qui fascine le lecteur et le fait sourire. Effectivement, cette jeune femme aime comme une femme libre, dans une société qui ne lui permet pas de l’être. Et Rimbaud, figure légendaire, incarne ici bien plus qu’un simple poète : il est le déclencheur, celui qui la pousse à sortir de ses cases rigides qui la conditionnent depuis toujours. Elle ose sortir du cadre, vit pour elle-même et en vient même à écrire et désirer ce qui était un comble pour une femme à cette époque. J’ai pu remarquer que leur relation est faite de peu de choses, des regards et échanges furtifs prônent faisant écho à une relation fantôme, sans lendemain. Or, c’est ici que la magie opère car elle devient immense à travers l’écriture, grâce à la poésie. Cette dernière devient leur langage, leur refuge, leur façon d’être ensemble malgré l’impossible. L’amour de Jeanne-Marie ne mourra jamais, il se ravive à chaque mot, à chaque page. Sa ténacité, sa passion, sa souffrance même, sont d’un ressenti avec une puissance presque douloureuse. Et Marie, plus d’un siècle plus tard, reçoit cette flamme, cet amour comme un héritage. En revanche, j’aurais aimé voir plus de dialogues entre Marie et son amie. L’auteur aurait pu ajouter des réactions mêmes minimes pour faire ressentir plus clairement comment ce journal bouleverse leur propre vision de l’amour, de la liberté. Pour terminer, c’est un roman difficile de par la matière poétique qui nous est offerte, rendant la lecture parfois dense. Mais pour qui aime Rimbaud, ou simplement les histoires d’amour sincères et interdites, c’est un vrai bijou !